[21 novembre]
Cela faisait des heures que Gwarelin marchait à travers bois et prairies. Il ne se pressait pas, avançait tranquillement. C’était l’automne, une saison que l’elfe n’appréciait pas particulièrement, mais qu’il préférait à l’hiver ; la seule qu’il trouvait belle était le printemps, car la nature se réveillait, frissonnante de l’hiver tenace qu’elle venait d’endurer, et délivrait des plantes merveilleuses à qui possédait des yeux suffisamment attentifs pour les voir.
Le matin venait de se lever dans un éclat orangé, paré de rubis chatoyants, s’étirant de tout son long sur les collines avoisinantes comme un farfadet sortant de son terrier. Gwarelin lui demanda de se dépêcher, car lui n’aimant pas particulièrement la nuit, il l’avait passée, tendu, aux côtés d’un feu vif qui le protégeait des bêtes carnivores et autres esprits maléfiques.
Vers midi, un grondement sourd parvint à ses oreilles sensibles et l’elfe sylvain se souvint que la petite rivière passant à l’ouest d’Aldae venait de ce confluant-ci : la Rivière, comme le peuple de la forêt l’appelait depuis toujours. Il se dit que ce n’était pas un nom très recherché mais après tout, pourquoi faire compliqué ?
Une fois à son bord, il dû bifurquer vers le sud, priant Rindra de lui offrir un pont pour traverser. Enfin, près de la frontière séparant Mithgalad de son royaume voisin, il rencontra avec bonheur un tronc renversé par dessus l’eau bouillonnante ; grimpant prestement sur lui, il fût de l’autre côté en un rien de temps et reprit sa marche vers le sud–est. Vers le milieu de l’après-midi, il aperçu au loin une vaste étendue bleutée : le lac Niniel.
Selon un ancien mythe perdu dans l'oubli du temps, une prêtresse de la déesse de l'eau, suite à la mort de son amant, se serait noyée dans ce lac, ne souhaitant plus vivre sur ces terres. Mais cette jeune fille, Niniel, fut punie par la déesse d'avoir souillée ce lac et ne put rejoindre l'autre monde. Ainsi, elle fût condamnée à errer à jamais sur les rivages du lac; les promeneurs, pêcheurs et autres personnages attentifs entendent encore parfois son chant qui résonne sur l'eau.
Gwarelin sortit du sous-bois et franchit la frontière de son royaume natal pour la deuxième fois de son existence.
Deux jours plus tard, ces mêmes pieds foulèrent de sol Tàrien, la capitale des Terres Oubliées. La première et dernière fois qu’il y était rentré, le jeune elfe n’avait pas fait attention à l’art raffiné que possédait cette ville ; entouré de la foule, il n’avait prêté attention ni aux maints petites sculptures illustrant des faits historiques gravées sur les murs des habitations, et ni à toutes la populations vivant dans cet endroit. Entré par la porte principale, la rue le mena au centre-ville, dans lequel il put admirer la Place des Lumières, ornée de sphères en verre qui, selon les dire, était un lieu, la nuit, plutôt lumineux, éclairé et surtout éclairant sur la technologie: de part et d'autre sur les côtés de cet endroit étaient placées, en suspension, des boules éclairées par un feu-froid, un belle lumière changeant de couleur selon ses envies. Certains scientifiques du département de la science magique s’étaient, paraît-il, penchés sur le sujet et sortirent tout dernièrement, c’est-à-dire il y a environ 150 ans, les résultats de leurs analyse: les couleurs se modifieraient selon les saisons! L’elfe se promit de revenir une fois la nuit tombée.
Ses pas descendirent ensuite sur la Place du Marché, une grande place pavée et circulaire plantée dans la partie basse de la Ville de Tàri, à l'opposé du quartier de Rùmil, et renommée pour son aspect vivant et un peu bordélique. Nombre de gens circulaient sur cette place et, déjà, la magnificence de la haute ville commençait à s’estomper. On vendait de tout : de la soupe de potirons à la paire de bœufs, en passant par des parchemins animés, Gwarelin vit des choses qu’ils n’avaient encore jamais vues. Comme, par exemple, ce vieillard à longue barbe blanche juché sur un tonneau qui criait « Graahaaaaaallls !!! Pas cher ! », brandissant une vieille coupe en forme de demi-lune. L’elfe traversa l’immense place chaotique et s’enfila dans une ruelle. Exténué par sa longue marche de presque trois jours, il fut heureux de voir un écriteau, certes usé et décoloré, indiquant en toutes lettres « Taverne ». Il en poussa la porte, quittant la petite ruelle qui s’assombrissait, le nuit venant vite à cette saison et eût l’impression de rentrer dans une branche en pleine course, lorsqu’il aperçu le fond de la taverne totalement dévasté. Un trou, de la taille d’une porte, garnissait la façade ouest et le bâtiment était vide, abandonné. Gwarelin avança prudemment. Comment, dans une ville pleine à craquer comme celle-ci, pouvait-il y avoir un bâtiment chamboulé à ce point de l’intérieur ? Il s’approcha du comptoir et remarqua que tout y était encore. Il ne restait plus qu’à remettre l’établissement en ordre.
Fermant la porte, il s’enroula dans une couverture pour la nuit, se promettant de se renseigner au sujet de cette taverne. Et sa promenade à la Place des Lumières attendrait, il avait trop sommeil ce soir.